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Énoncé des motifs — décision concernant un réexamen relatif à l’expiration : Pâtes alimentaires séchées à base de blé (DWP 2023 ER)

D’une décision rendue dans un réexamen relatif à l’expiration en vertu de l’alinéa 76.03(7)a) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation concernant les pâtes alimentaires séchées à base de blé originaires ou exportées de la république de Türkiye.

Decision

Ottawa, le 

Le 12 octobre 2023, conformément à l’alinéa 76.03(7)a) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, l’Agence des services frontaliers du Canada a décidé que l’expiration des conclusions rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 26 juillet 2018 dans l’enquête NQ-2017-005 causerait vraisemblablement :

  • la poursuite ou la reprise du dumping des marchandises de la Türkiye; et
  • la poursuite ou la reprise du subventionnement des marchandises de la Türkiye.

Sur cette page

Résumé

[1] Le 15 mai 2023, conformément au paragraphe 76.03(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI), le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a ouvert un réexamen relatif à l’expiration de ses conclusions rendues le 26 juillet 2018 dans l’enquête NQ-2017-005 concernant le dumping et le subventionnement des pâtes alimentaires séchées à base de blé (PASB) originaires ou exportées de la République de Türkiye (Türkiye).

[2] Par suite de l’avis du TCCE, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a ouvert le 16 mai 2023, conformément à l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI, sa propre enquête pour établir si l’expiration des conclusions risquait de faire reprendre ou se poursuivre le dumping et/ou le subventionnement des marchandises en cause de la Türkiye.

[3] L’ASFC a reçu une réponse à son questionnaire de réexamen relatif à l’expiration (QRE) pour producteurs canadiens de Grisspasta Products Limited (Grisspasta)Note de bas de page 1, de Primo Foods Inc. (Primo)Note de bas de page 2, de Barilla [réponse collective de Catelli Montreal Inc. (Catelli), de Barilla Canada Inc. (BCI) et de Barilla America, Inc. (BAI)]Note de bas de page 3, de la Canadian Pasta Manufacturers Association (CPMA)Note de bas de page 4 et d’Italpasta Limited (Italpasta)Note de bas de page 5. Les exposés de Grisspasta, de Primo, de Barilla, de la CPMA et d’Italpasta contenaient des renseignements à l’appui de leur point de vue que la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent.

[4] L’ASFC a reçu une réponse à son QRE pour importateurs de BarillaNote de bas de page 6.

[5] L’ASFC n’a pas reçu de réponse à son QRE pour exportateurs ni à son QRE pour gouvernements étrangers adressé au gouvernement de la Türkiye.

[6] Barilla et la CPMA ont présenté des renseignements supplémentaires avant la clôture du dossierNote de bas de page 7 ainsi que des mémoiresNote de bas de page 8 à l’appui de leur point de vue que la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent. Aucune autre partie n’a présenté de mémoire ou de contre-exposé en réponse aux mémoires de Barilla et de la CPMA.

[7] Il ressort de l’analyse des renseignements au dossier administratif que la poursuite ou la reprise du dumping, au Canada, des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent. Cette analyse repose sur les facteurs suivants :

  • la sensibilité au prix des PASB;
  • l’attrait et la stabilité des conditions du marché au Canada;
  • la croissance des produits de marque maison et bon marché au Canada;
  • l’intérêt continu des exportateurs de PASB de la Türkiye envers le marché canadien;
  • le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye;
  • l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye;
  • la prise de mesures antidumping à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud;
  • l’imposition de barrières tarifaires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq; et
  • la suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires.

[8] De plus, il ressort de l’analyse des renseignements au dossier administratif que la poursuite ou la reprise du subventionnement des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent. Cette analyse repose sur les facteurs suivants :

  • la poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions étaient en vigueur;
  • le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye;
  • l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye; et
  • la prise de mesures compensatoires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis.

[9] C’est pourquoi, après étude des renseignements pertinents au dossier administratif, et conformément à l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI, l’ASFC a décidé le 12 octobre 2023 que l’expiration des conclusions à l’égard des PASB causerait vraisemblablement :

  1. la poursuite ou la reprise du dumping des marchandises de la Türkiye; et
  2. la poursuite ou la reprise du subventionnement des marchandises de la Türkiye.

Contexte

[10] Le 28 décembre 2017, conformément au paragraphe 31(1) de la LMSI, l’ASFC a ouvert des enquêtes sur le dumping et le subventionnement des PASB de la Türkiye après avoir reçu une plainte de la CPMA d’Ottawa en OntarioNote de bas de page 9.

[11] Le 26 juin 2018, conformément à l’alinéa 41(1)b) de la LMSI, l’ASFC a rendu des décisions définitives de dumping et de subventionnement concernant les PASB de la TürkiyeNote de bas de page 10.

[12] Le 26 juillet 2018, conformément au paragraphe 43(1) de la LMSI, le TCCE a jugé dans l’enquête NQ-2017-005 que le dumping et le subventionnement des PASB de la Türkiye avaient causé un dommage à la branche de production nationale (canadienne)Note de bas de page 11.

[13] Le 24 mars 2021, l’ASFC a conclu un réexamen pour mettre à jour les valeurs normales, les prix à l’exportation et les montants de subvention des PASB de la TürkiyeNote de bas de page 12. Durum Gida Sanayi ve Ticaret A.Ş. (Durum Gida) a participé au réexamen et a reçu des valeurs normales et un montant de subvention à jour.

[14] Le 15 mai 2023, conformément au paragraphe 76.03(1) de la LMSI, le TCCE a ouvert un réexamen relatif à l’expiration de ses conclusions rendues le 26 juillet 2018 dans l’enquête NQ-2017-005Note de bas de page 13.

[15] Le 16 mai 2023, l’ASFC a ouvert sa propre enquête pour établir si l’expiration des conclusions risquait de faire reprendre ou se poursuivre le dumping et/ou le subventionnement des PASB de la Türkiye.

Les produits

[16] Les marchandises en cause dans le présent réexamen relatif à l’expiration se définissent comme suit :

Pâtes alimentaires séchées à base de blé, originaires ou exportées de la République de Turquie; ni farcies ni autrement préparées, et dont la teneur en œufs ne dépasse pas deux pour cent; même enrichies, fortifiées, biologiques ou de blé entier; et même contenant du lait ou d’autres ingrédients; à l’exclusion des pâtes alimentaires réfrigérées, congelées ou en conserve.

Précisions

[17] Sont en cause toutes les pâtes blanches, standard, ordinaires, de blé entier ou biologiques dans la famille des pâtes alimentaires à la semoule de blé dur. Celles-ci peuvent être enrichies, et contenir du lait ou d’autres ingrédients facultatifs : légumes en morceaux, en poudre ou en purée; gluten, enzymes, vitamines, colorant, aromatisants.

[18] Sont en cause les pâtes de forme allongée (spaghettis, spaghettinis, capelli d’angelo, linguinis, vermicelles, fettuccines et nids de pâtes), courte (macaronis, pennes, rigatonis, rotinis, fusillis et zitis) ou spéciale (boucles, coquilles, cannellonis, manicottis, lasagnes, roues).

[19] Les marchandises en cause sont importées tantôt dans des boîtes de carton ou carton dur, tantôt dans des sacs en polyéthylène ou polypropylène. Il existe une grande variété de formats, dont les plus communs sont : 200 g, 375 g, 400 g, 454 g, 500 g, 750 g, 800 g, 900 g, 1 kg, 10 lb, 20 lb, 30 lb, 40 lb, 50 lb, les boîtes « de spécialité » et le vrac. Au Canada, les PASB sont généralement emballées par les producteurs eux-mêmes.

Classement des importations

[20] Les marchandises en cause s’importent généralement au Canada sous les numéros de classement tarifaire suivants :

  • 1902.19.21.30
  • 1902.19.22.30
  • 1902.19.23.30
  • 1902.19.29.30
  • 1902.19.91.00
  • 1902.19.92.30
  • 1902.19.93.00
  • 1902.19.99.30

[21] Les numéros de classement tarifaire ci-dessus n’incluent pas toutes les marchandises en cause, et inversement, ils incluent des marchandises non en cause.

Période visée par le réexamen

[22] La période visée par le réexamen (PVR) pour l’enquête de réexamen relatif à l’expiration de l’ASFC est du 1er janvier 2020 au 31 mars 2023.

Branche de production nationale

[23] La branche de production nationale se compose de la CPMA et de cinq autres producteurs canadiens de PASB.

La Canadian Pasta Manufacturers Association

[24] La CPMA se compose de trois membres fabriquant des PASB au Canada, soit : Italpasta de Brampton en Ontario; Primo de Toronto en Ontario; et Grisspasta de Longueuil au Québec. Ces trois membres représentent la plus grande partie de la production de marchandises similaires au CanadaNote de bas de page 14.

[25] Fondée en 1989, Italpasta est une entreprise familiale fabriquant une variété de produits de pâtes alimentairesNote de bas de page 15.

[26] Primo fabrique des pâtes alimentaires à Toronto depuis 1956. En 2006, Primo a été achetée par Sun-Brite Foods Inc. (Sun-Brite), fabricant et conserverie de produits de la tomate. Sun-Brite a aussi acheté Unico Inc., fabricant de pâtes alimentaires et d’autres produits alimentaires, en 1997. Les produits de Primo comprennent les pâtes alimentaires ainsi que les produits alimentaires en conserve comme les tomates, les sauces et les haricotsNote de bas de page 16.

[27] Fondée en 1982 par trois frères, Grisspasta fabrique depuis quatre générations une variété de produits de pâtes alimentairesNote de bas de page 17.

Autres producteurs canadiens

[28] Les autres producteurs canadiens de PASB comprennent : Catelli de Montréal au Québec; Private Harvest Canada Ltd. (Private Harvest) d’Edmonton en Alberta; Pasta Romana Foods Inc. (Pasta Romana) de Montréal au Québec; Old Fashioned Noodle Products (OFNP) de Winnipeg au Manitoba; et Jared Pacific Inc. (Jared Pacific) de Mississauga en OntarioNote de bas de page 18.

[29] Catelli a entamé les activités en 1867 comme fabricant de PASB. La société est présente à Montréal au Québec depuis 1971. En 2021, Barilla a acheté Catelli à Riviana Foods Corporation. Les produits de Catelli sont distribués aux secteurs du détail et des services alimentaires à l’échelle nationaleNote de bas de page 19.

[30] Private Harvest, Pasta Romana, OFNP et Jared Pacific n’ont pas répondu au QRE de l’ASFC.

Marché canadien

[31] Sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous le volume et la valeur du marché canadien apparent des PASB dans la PVR.

Tableau 1
Marché canadien apparent des PASB
Volume en kilogrammes (kg) et valeur en dollars ($)
Source 2020Note de bas de page 20 2021Note de bas de page 21 2022 janv.-mars 2023
Volume Valeur Volume Valeur Volume Valeur Volume Valeur
Production canadienneNote de bas de page 22 119 479 817 195 625 192 101 811 561 182 346 496 104 919 507 237 003 334 24 827 693 58 594 456
TürkiyeNote de bas de page 23 15 604 562 11 629 356 15 393 319 11 891 575 14 414 343 14 928 141 4 637 163 5 287 492
Autres paysNote de bas de page 24 59 794 007 104 588 931 74 837 991 88 689 315 52 174 553 112 002 379 11 515 506 28 526 093
Total des importations 75 398 569 116 218 287 90 231 310 100 580 889 66 588 896 126 930 520 16 152 669 33 813 585
Marché canadien apparent 194 878 386 311 843 479 192 042 871 282 927 386 171 508 403 363 933 853 40 980 362 92 408 041

[32] Les données sur la production d’un des producteurs canadiens ayant répondu n’étaient pas disponibles pour 2020 et janvier 2021. Pour assurer la comparabilité des données de 2020 à 2023, on a estimé sa production canadienne. Pour ce faire, on a calculé sa production de 2020 à partir du taux de croissance observé pour les autres producteurs canadiens de 2020 à 2021. On a extrapolé sa production de janvier 2021 à partir des données sur la production disponibles pour les 11 derniers mois de 2021.

[33] D’après l’information au dossier administratif, le volume du marché canadien apparent total a diminué et sa valeur, augmenté de 2020 à 2022.

[34] La part du marché canadien apparent des producteurs canadiens est demeurée relativement stable de 2020 à 2022, avec une baisse du volume et une hausse de la valeur.

[35] La part du marché des importations de la Türkiye est aussi demeurée relativement stable de 2020 à 2022, avec une baisse du volume et une hausse de la valeur.

Perception des droits

[36] Comme on le voit dans le tableau 2 ci-dessous, dans la PVR, l’exécution des conclusions du TCCE a donné lieu à la perception de 222 078 $ en droits antidumping et compensateurs par l’ASFC sur les importations de marchandises en cause de la Türkiye. La valeur en douane totale de ces importations était d’environ 43,7 millions de dollars. En pourcentage de la valeur en douane totale, les droits antidumping et compensateurs totaux perçus étaient égaux à 0,5 %.

Tableau 2
Perception des droits dans la PVRNote de bas de page 25
Importations de marchandises en cause de la Türkiye
Volume en kilogrammes (kg) et valeur en douane et droits LMSI en dollars ($)
2020 2021 2022 janv.-mars 2023
Quantité 15 604 562 15 393 319 14 414 343 4 637 163
Valeur en douane 11 629 356 11 891 575 14 928 141 5 287 492
Droits LMSI 84 622 58 097 68 908 10 450

Parties à la procédure

[37] Le 16 mai 2023, l’ASFC a envoyé un avis d’ouverture d’enquête de réexamen relatif à l’expiration et un QRE aux producteurs canadiens, aux importateurs et aux exportateurs connus. Elle a aussi envoyé au gouvernement de la Türkiye un QRE portant sur le subventionnement.

[38] Les QRE demandaient des renseignements nécessaires à la prise en compte par l’ASFC des facteurs pertinents de réexamen relatif à l’expiration qui figurent au paragraphe 37.2(1) du Règlement sur les mesures spéciales d’importation (RMSI).

[39] Grisspasta, Primo, Barilla, la CPMA et Italpasta ont fait une réponse au QRE pour producteurs canadiens. Barilla a aussi fait une réponse au QRE pour importateurs.

[40] Aucun exportateur ou producteur étranger n’a fait de réponse au QRE pour exportateurs. Le gouvernement de la Türkiye n’a pas fait de réponse au QRE pour gouvernements étrangers.

[41] Les producteurs canadiens, Barilla et la CPMA (au nom de ses membres, Italpasta, Primo et Grisspasta), ont présenté des renseignements supplémentaires avant la clôture du dossier ainsi que des mémoires à l’appui de leur point de vue que la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent.

[42] Aucune autre partie n’a présenté de mémoire ou de contre-exposé.

Renseignements pris en compte par l'ASFC

[43] Les renseignements que l’ASFC a pris en compte aux fins de l’enquête de réexamen relatif à l’expiration figurent au dossier administratif. Ce dossier contient les renseignements énumérés dans la liste des pièces justificatives de l’ASFC, laquelle comprend les pièces justificatives de l’ASFC et les renseignements présentés par les parties intéressées, notamment ceux qu’elles estiment pertinents pour la décision concernant la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du dumping et du subventionnement en l’absence des conclusions du TCCE. Ces renseignements peuvent être des rapports d’analystes-experts, des extraits de revues spécialisées et de journaux, des ordonnances et des conclusions rendues par les autorités au Canada ou ailleurs, des documents d’organismes comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et les réponses au QRE présentées par les producteurs canadiens, les exportateurs, les importateurs et les gouvernements.

[44] Dans toute enquête de réexamen relatif à l’expiration, l’ASFC fixe une « date de clôture du dossier » après laquelle aucun nouveau renseignement ne peut être versé au dossier administratif; ici, c’était le 5 juillet 2023. Il s’agit en effet de donner le temps aux participants de préparer leurs mémoires et leurs contre-exposés d’après ce qui se trouve au dossier administratif en date de sa clôture.

Position des parties : dumping

Parties selon qui le dumping risque fort de se poursuivre ou de reprendre

[45] La CPMA et Barilla ont formulé des observations dans leur réponse au QRE ainsi que leur mémoire à l’appui de leur point de vue que la poursuite ou la reprise du dumping des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent. C’est pourquoi la CPMA et Barilla font valoir que les mesures antidumping devraient être maintenues.

[46] Les principaux facteurs relevés par la CPMA et Barilla peuvent se résumer comme suit :

  • l’attrait des conditions du marché au Canada;
  • la poursuite du dumping des PASB pendant que les conclusions du TCCE étaient en vigueur;
  • l’incapacité des autres exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye de concurrencer en raison des droits antidumping;
  • le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires en Türkiye qui ont une capacité croissante et excédentaire;
  • la vocation exportatrice de la branche de production turque de pâtes alimentaires et ses liens continus avec des importateurs canadiens;
  • la prise de mesures antidumping à l’égard des importations de pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud;
  • l’imposition de barrières tarifaires sur les importations de pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq; et
  • la suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires.

L’attrait des conditions du marché au Canada

[47] Malgré les mesures en vigueur, les importations de la Türkiye continuent de représenter une grande part des importations de PASB du CanadaNote de bas de page 26.

[48] La CPMA et Barilla soutiennent que le Canada demeure un marché intéressant pour les producteurs turcs de pâtes alimentaires. Le Canada est le cinquième et dixième importateur mondial de pâtes alimentaires en termes de valeur et de volume respectivement. Alors que la Türkiye ne consomme que 37 % de sa production, le Canada dépend des importations pour répondre à la demandeNote de bas de page 27. En outre, la demande de pâtes alimentaires au Canada est demeurée relativement stable, avec une croissance modesteNote de bas de page 28.

[49] La CPMA et Barilla affirment que des changements au secteur du détail ont encore augmenté l’attrait du marché canadien pour les exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye. En raison des hausses des coûts du blé dur, du transport, de l’énergie et de l’emballage, les détaillants sont à la recherche d’options meilleur marché à offrir à leurs clients. En outre, les Canadiens ressentent les répercussions de l’inflation importante et des taux d’intérêt à la hausse. Par conséquent, les détaillants délaissent les pâtes alimentaires de marque haut de gamme en faveur de celles de marque maisonNote de bas de page 29.

[50] En 2015, Durum Gida a remporté un contrat de marque maison auprès d’un grand détaillant canadien, Loblaws. Dans son enquête initiale, le TCCE a conclu que :

Les concurrents de Loblaws, surtout les détaillants à marge réduite, en ont pris note. Ils ont constaté qu’un grand détaillant canadien avait accès à un approvisionnement fiable d’un produit de qualité à un prix concurrentiel grâce à un fournisseur étranger. Il s’est ensuivi un nivellement par le bas en matière de prix, les détaillants souhaitant maintenir ou augmenter leurs ventes de ce produit essentiel. Certains détaillants ont reçu ou sollicité des offres crédibles de la part de producteurs turcs en vue d’approvisionner leur propre entreprise de marque maison. D’autres ont exercé des pressions sur les producteurs canadiens pour qu’ils réduisent le prix des pâtes alimentaires fournies pour une marque maison ou vendues sous une marque nationale établie.

[…] le contrat entre Loblaws et Durum Gida a déclenché une guerre de prix et entraîné une chute spectaculaire des prix, ce qui a intensifié le marché déjà très concurrentielNote de bas de page 30.

[51] La CPMA soutient que, si les conclusions expirent, d’autres détaillants chercheront à établir des liens avec d’autres fournisseurs turcs pour leur propre marque maison, ce qui fera encore baisser les prixNote de bas de page 31. Durum Gida réduira vraisemblablement ses prix et continuera ou recommencera à pratiquer le dumping pour demeurer concurrentielle.

La poursuite du dumping des PASB pendant que les conclusions du TCCE étaient en vigueur

[52] La CPMA et Barilla affirment que le dumping s’est poursuivi dans la PVR pendant que des droits LMSI étaient perçus. Les prix unitaires des PASB de la Türkiye sont aussi demeurés faibles par rapport à ceux d’autres sources d’importations au CanadaNote de bas de page 32.

[53] La CPMA et Barilla soutiennent que les valeurs normales de Durum Gida ne sont plus à jour puisqu’il y a eu une hausse importante des coûts du blé dur, de l’énergie et de l’emballage. La période visée par l’enquête (PVE) du dernier réexamen était du 1er novembre 2018 au 31 octobre 2019. La CPMA indique que le coût du blé dur turc a à lui seul augmenté de 61 % de 2020 à 2023Note de bas de page 33. Barilla indique aussi que les coûts de production turcs ont beaucoup augmenté, notamment le blé dur (64 % de 2019 à 2022), la main-d’œuvre (32 % de 2019 à 2023), l’énergie (100 % de 2019 à 2022) ainsi que l’emballage. Les prix intérieurs des pâtes alimentaires turques ont aussi beaucoup augmentéNote de bas de page 34. Ainsi, le montant de dumping dans la PVR est sous-évalué.

[54] La CPMA prétend que plusieurs facteurs, dont les distorsions sur le marché causées par le conflit entre la Russie et l’Ukraine ainsi que les importations de blé dur de la Russie, la volatilité des conditions économiques en Türkiye (comme l’hyperinflation et la dévaluation de la monnaie), et les distorsions sur le marché turc des pâtes alimentaires causées par la réglementation gouvernementale (qui favorise les investissements dans la capacité, limite les exportations et dicte le prix du blé dur national et importé), indiquent la présence d’une situation particulière sur le marché turc des PASB. La CPMA soutient que cela montre encore que, dans la PVR, les valeurs normales n’étaient pas à jour et le montant de dumping est sous-évaluéNote de bas de page 35. Le fait que le dumping semble s’être poursuivi dans la PVR appuie une conclusion selon laquelle le dumping risque fort de se poursuivre en l’absence des conclusions du TCCE.

L’incapacité des autres exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye de concurrencer en raison des droits antidumping

[55] Barilla affirme que, vu les droits LMSI minimaux payés, il est peu probable que tout autre exportateur de pâtes alimentaires de la Türkiye ait exporté des PASB au Canada dans la PVR. Les exportateurs turcs autres que Durum Gida ne peuvent vraisemblablement pas participer au marché canadien parce que visés par un taux de droits antidumping égal à 99,9 % du prix à l’exportation. Cette situation montre que les exportateurs turcs ne peuvent pas concurrencer en raison des droits antidumping. En l’absence des conclusions, les producteurs turcs vendraient vraisemblablement à des prix sous-évalués pour conquérir une part du marché canadienNote de bas de page 36.

Le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires en Türkiye qui ont une capacité croissante et excédentaire

[56] La Türkiye est le deuxième producteur mondial de pâtes alimentaires en termes de volume. La CPMA indique qu’il y a 24 producteurs connus en TürkiyeNote de bas de page 37. Barilla a recensé 31 producteurs, précisant que les sept principaux producteurs représentent 65 % de la capacitéNote de bas de page 38.

[57] La CPMA affirme que Durum Gida, le seul exportateur turc ayant des valeurs normales, ainsi que son fournisseur lié, Arbel Bakliyat Hububat San. Tic. A.Ş. (Arbella), représentent plus de 10 % de la capacité de production totale de la TürkiyeNote de bas de page 39.

[58] La CPMA soutient que, depuis l’enquête initiale en 2017, la capacité de production en Türkiye est passée de 2 millions de tonnes métriques (tm) à 3 millions de tm en raison de l’intervention gouvernementaleNote de bas de page 40. Barilla, qui estime aussi la capacité de production à environ 3 millions de tm, souligne que la branche de production turque de pâtes alimentaires peut encore renforcer ses capacités en réorientant la production, des nouilles vers les pâtes alimentairesNote de bas de page 41.

[59] La CPMA et Barilla soulignent que la production de pâtes alimentaires en Türkiye dépasse la consommation. De 2016 à 2021, la consommation de pâtes alimentaires en pourcentage de la production en Türkiye variait de 28 % à 39 %. Ainsi, l’excédent soutenu de pâtes alimentaires fait en sorte que les producteurs turcs dépendent des exportationsNote de bas de page 42.

[60] De plus, la CPMA et Barilla soutiennent qu’il continue d’y avoir une capacité de production inutilisée importante en Türkiye. En 2019, le président de la Pasta Producers and Industrialists Association a déclaré que la branche de production turque de pâtes alimentaires comptait environ 30 usines pour une capacité de 2,8 millions de tm, dont la moitié était inutiliséeNote de bas de page 43.

[61] Si les conclusions expirent, ce grand nombre de producteurs turcs de pâtes alimentaires pourraient utiliser leur capacité inutilisée pour augmenter la production à exporter vers le Canada. Puisque les producteurs turcs se livrent à une concurrence féroce sur les marchés d’exportation, cette production supplémentaire sera vraisemblablement exportée vers le Canada à bas prix.

La vocation exportatrice de la branche de production turque de pâtes alimentaires et ses liens continus avec des importateurs canadiens

[62] La branche de production turque de pâtes alimentaires est à forte vocation exportatrice, exportant environ les deux tiers de sa production annuelleNote de bas de page 44.

[63] De 2020 à 2022, la Türkiye a exporté plus de 4 millions de tm de pâtes alimentairesNote de bas de page 45. Le Canada occupait le 21e rang en termes de volume parmi les principaux marchés d’exportation de la Türkiye en 2022Note de bas de page 46.

[64] Barilla indique que les producteurs turcs de pâtes alimentaires seront vraisemblablement encore plus axés sur l’exportation à l’avenir. Le ministère du Commerce de la Türkiye a annoncé en 2022 sa « stratégie des pays éloignés », qui vise à améliorer les liens commerciaux avec 18 pays, dont le Canada, comme débouchés importants pour les exportationsNote de bas de page 47.

[65] En outre, Barilla indique que les exportateurs turcs maintiennent des liens solides avec le marché canadien, notamment un réseau établi de venteNote de bas de page 48.

[66] De plus, la CPMA affirme que Oba Makarnacilik Sanayi Ve Ticaret A.Ş. (Oba Makarna) et Nuh’un Ankara Makarnasi Sanayi Ve Ticaret A.Ş. (Nuh’un Ankara), deux des principaux producteurs de pâtes alimentaires en Türkiye, avaient une présence avérée sur le marché canadien avant les conclusions du TCCENote de bas de page 49.

[67] Si les conclusions expirent, ces producteurs pourront revenir sur le marché canadien, et la concurrence entre eux tirera les prix vers le bas.

[68] La CPMA et Barilla soutiennent que le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires en Türkiye, combiné à leur vocation exportatrice et à leur capacité excédentaire, risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB au Canada si les conclusions expirent.

La prise de mesures antidumping à l’égard des importations de pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud

[69] La CPMA indique que, parmi les dix premiers pays importateurs de pâtes alimentaires en 2021, cinq pays (dont le Canada) ont des recours commerciaux ou d’autres barrières tarifaires en vigueur pour limiter les importations de la Türkiye.

[70] Tant la CPMA que Barilla soulignent que les États-Unis ont imposé des droits antidumping sur les pâtes alimentaires de la Türkiye, ayant maintenu ces mesures depuis 1996. En effet, les mesures ont été renouvelées dans quatre réexamens relatifs à l’expiration subséquents, dont le dernier en 2019. Le département du Commerce des États-Unis (USDOC) a décidé que l’annulation des ordonnances causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping ainsi qu’un dommage importantNote de bas de page 50.

[71] De plus, l’Afrique du Sud a récemment imposé des droits antidumping sur les importations de pâtes alimentaires de la Türkiye en août 2021. Le taux de droits antidumping était de 367 %Note de bas de page 51.

[72] Ainsi, la CPMA et Barilla soutiennent que les mesures antidumping en vigueur dans d’autres territoires montrent que les pâtes alimentaires de la Türkiye tendent à faire l’objet d’un dumping.

L’imposition de barrières tarifaires sur les importations de pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq

[73] La CPMA et Barilla indiquent que l’accès de la Türkiye à de nombreux marchés de grande valeur, comme l’Allemagne, la France et l’Iraq (les deuxième, troisième et huitième importateurs de pâtes alimentaires), est également limitéNote de bas de page 52.

[74] L’Union européenne a un contingent de 20 000 tm en vigueur visant les pâtes alimentaires de la Türkiye. Les importations hors contingent sont assujetties au taux de droits de douane de la nation la plus favorisée (NPF). Le taux de la NPF est l’un des plus élevés et restrictifs qu’un pays membre de l’OMC peut imposer à un autre. Par conséquent, les exportations de pâtes alimentaires de la Türkiye vers les pays de l’Union européenne sont faibles, totalisant moins de 2 % des exportations totales annuellesNote de bas de page 53.

[75] De plus, l’Iraq interdit les importations de pâtes alimentaires de la Türkiye depuis 2019. En 2018, l’Iraq figurait parmi les dix principaux marchés d’exportation de la Türkiye. Les exportations turques vers l’Iraq ont diminué d’environ 58 % depuis 2018. Les détails de l’interdiction ne sont pas clairs, car l’Iraq demeurait le 13e marché d’exportation de la Türkiye en 2022Note de bas de page 54.

[76] Les recours commerciaux et les barrières tarifaires en vigueur limitent les marchés vers lesquels exporter les pâtes alimentaires en suroffre en Türkiye. Par conséquent, la CPMA et Barilla indiquent qu’il y a peu de débouchés pour les pâtes alimentaires turques. Si les conclusions expirent, les producteurs turcs se livreront vraisemblablement à une concurrence des prix féroce sur le marché canadien, ce qui risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASBNote de bas de page 55.

La suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires

[77] La CPMA et Barilla indiquent que le marché mondial des pâtes alimentaires est en suroffre, car la production dépasse la consommation. De 2016 à 2021, la production mondiale a augmenté d’environ 13 %, contre 11 % pour la consommationNote de bas de page 56.

[78] Les pâtes alimentaires ont déjà atteint des niveaux élevés de pénétration dans les foyers à l’échelle mondiale, notamment au Canada, aux États-Unis et en Europe, ce qui laisse un potentiel de croissance modesteNote de bas de page 57.

[79] De plus, les producteurs de pâtes alimentaires aux États-Unis, dans l’Union européenne, en Afrique et en Türkiye ont tous fait état de plans d’expansion de la capacitéNote de bas de page 58. Ainsi, la suroffre mondiale devrait se poursuivre.

[80] Par conséquent, la CPMA et Barilla soutiennent que le marché mondial des pâtes alimentaires est actuellement plus concurrentiel qu’il ne l’était au cours de l’enquête initiale. Si les conclusions expirent, les exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye seront plus enclins à réduire leurs prix pour conquérir une part du marché dans ce contexte concurrentiel. Cette situation risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB au Canada.

Parties selon qui le dumping ne risque pas de se poursuivre ou de reprendre

[81] Aucune des parties ne soutient que la poursuite ou la reprise du dumping des PASB de la Türkiye n’est pas vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent.

Considération et analyse : dumping

[82] Quand elle décide au titre de l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI si, selon toute vraisemblance, l’expiration de conclusions causera la poursuite ou la reprise d’un dumping, l’ASFC peut prendre en compte tous les facteurs pertinents dans les circonstances, sans se limiter à ceux du paragraphe 37.2(1) du RMSI.

[83] Guidée par les facteurs susmentionnés, et tenant compte des documents présentés par les divers participants ainsi que du fruit de ses propres recherches, qui sont tous au dossier administratif, l’ASFC a analysé la question du dumping dans l’enquête de réexamen relatif à l’expiration qui nous intéresse. La liste suivante résume son travail d’analyse :

  • la sensibilité au prix des PASB;
  • l’attrait et la stabilité des conditions du marché au Canada;
  • la croissance des produits de marque maison et bon marché au Canada;
  • l’intérêt continu des exportateurs de PASB de la Türkiye envers le marché canadien;
  • le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye;
  • l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye;
  • la prise de mesures antidumping à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud;
  • l’imposition de barrières tarifaires sur les pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq; et
  • la suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires.

L’analyse de l’ASFC

La sensibilité au prix des PASB

[84] En règle générale, les PASB sont faites de deux ingrédients principaux : la farine de semoule, tirée du blé dur, et l’eau. Le prix des PASB est directement influencé par le coût de la farine de semoule, qui à son tour est lié au prix du blé dur.

[85] Les producteurs emploient essentiellement la même technologie pour fabriquer les PASB, ce qui les rend généralement interchangeables, qu’elles soient fabriquées par un producteur canadien ou étranger, malgré certaines perceptions des consommateurs à l’égard de différences au niveau de la qualité.

[86] Le TCCE a souligné que les PASB, étant un bien de consommation de base, font l’objet d’une concurrence féroce motivée par la sensibilité au prix. Cela est particulièrement le cas pour les PASB qui sont offertes dans les formes et coupes classiques et qui sont issues de la production de masse et destinées à la consommation de masseNote de bas de page 59.

[87] Vu l’interchangeabilité et la sensibilité au prix des PASB, les acheteurs chercheront généralement le meilleur prix sur le marché. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, la sensibilité au prix des PASB risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping.

L’attrait et la stabilité des conditions du marché au Canada

[88] Au Canada, les PASB sont un bien de consommation de base et font déjà l’objet de niveaux élevés de consommation, laissant peu de place pour la croissance de la demande. La demande canadienne est généralement stable, inélastique et stagnante d’une année à l’autre, avec une croissance modeste seulement. En raison de sa stabilité, le marché canadien des PASB est relativement attrayant à l’échelle mondialeNote de bas de page 60.

[89] En 2020 et 2021, durant la pandémie de COVID-19, les consommateurs ont mangé à la maison plus souvent en raison des restrictions en matière de santé publique. Les ménages ont aussi commencé à faire des réserves de pâtes alimentaires, un aliment non périssable et bon marché. Par conséquent, la demande a augmenté. La consommation a atteint des niveaux inattendus, mais a depuis retrouvé les niveaux normaux d’avant 2020, avec l’allègement des restrictions liées à la COVID-19Note de bas de page 61.

[90] En 2022, le Canada a connu une hausse importante de 6,8 % des prix à la consommationNote de bas de page 62. Pour contrer l’inflation, la Banque du Canada a pris des mesures sans précédent en augmentant les taux d’intérêt de 425 points de base, la hausse la plus rapide en un quart de siècleNote de bas de page 63. En juin 2023, les économistes prévoient toujours des hausses supplémentaires possibles des taux d’intérêtNote de bas de page 64. Cette hausse ininterrompue de l’inflation et des taux d’intérêt a réduit le pouvoir d’achat des consommateurs, qui ont adopté une approche plus prudente et frugale en matière de dépensesNote de bas de page 65. Par conséquent, l’inflation a fait augmenter la demande de pâtes alimentaires, connues pour être un repas abordableNote de bas de page 66.

[91] Le marché canadien, étant stable et connaissant une croissance modeste de la demande, est de plus en plus intéressant pour les exportateurs de PASB. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, les exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye exporteront vraisemblablement vers le Canada et y réduiront leurs prix pour conquérir une part du marché, ce qui risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

La croissance des produits de marque maison et bon marché au Canada

[92] Le marché canadien des PASB se divise en trois grands segments : détail, services alimentaires et services industriels. Le segment du détail est le plus grand. Comme l’a souligné le TCCE, ce segment du marché est établi et très concurrentielNote de bas de page 67.

[93] Dans le segment du détail, les fabricants vendent leur production à des chaînes d’alimentation nationales ou régionales. Dans ces chaînes, les PASB sont commercialisées auprès des consommateurs de deux façons : une marque nationale reconnue (p. ex. Italpasta, Primo, Catelli, etc.) ou une marque maison du détaillant. Chacun des quatre grands détaillants canadiens (Loblaws, Metro, Walmart et Sobeys) possède sa propre marque maison : No Name chez Loblaws, Selection chez Metro, Great Value chez Walmart et Compliments chez SobeysNote de bas de page 68.

[94] Les PASB de marque nationale et maison se font directement concurrence. Par le passé, les pâtes alimentaires de marque nationale attiraient une prime de 10-25 %, surtout en raison du capital de marque. Cependant, au cours de la dernière décennie, le capital de marque s’est érodéNote de bas de page 69.

[95] Alors que les consommateurs s’attardent de plus en plus au prix en raison de l’inflation élevée et des taux d’intérêt à la hausse, la part du marché des marques nationales haut de gamme a diminué pour faire place aux produits de marque maison et bon marchéNote de bas de page 70.

[96] Les pâtes alimentaires de marque maison et bon marché constituent un segment du marché plus sensible au prix. Ce changement dans la consommation rend encore plus vulnérables les fabricants de marques canadiennes aux importations à bas prix de la Türkiye.

[97] Puisque la croissance du produit intérieur brut réel devrait ralentir, de 3,4 % en 2022 à 1,5 % en 2023Note de bas de page 71, la pression financière continuera de se faire sentir pour les consommateurs canadiens, qui continueront vraisemblablement de s’attarder au prix et de privilégier les pâtes alimentaires de marque maison ou bon marché.

[98] Comme l’a souligné le TCCE, lorsque Durum Gida a remporté un contrat de marque maison auprès de Loblaws comme fournisseur de PASB à très bas prix, les autres détaillants en ont pris note. Le TCCE a affirmé : Il s’est ensuivi un nivellement par le bas en matière de prix, les détaillants souhaitant maintenir ou augmenter leurs ventes de ce produit essentielNote de bas de page 72.

[99] Si les conclusions expirent, il est vraisemblable que ce « nivellement par le bas » se poursuivrait, car les autres détaillants canadiens seront à la recherche de pâtes alimentaires à très bas prix pour leur propre marque maison. Par conséquent, cette situation risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB au Canada.

L’intérêt continu des exportateurs de PASB de la Türkiye envers le marché canadien

[100] Le 26 juin 2018, l’ASFC a rendu des décisions définitives de dumping et de subventionnement concernant les PASB de la Türkiye. Trois exportateurs, dont Durum Gida, ont participé à l’enquête. Durum Gida était le seul exportateur à avoir reçu des valeurs normalesNote de bas de page 73.

[101] Le 24 mars 2021, l’ASFC a conclu un réexamen des valeurs normales, des prix à l’exportation et du montant de subvention des PASB de la Türkiye. Cinq exportateurs, dont Durum Gida, ont participé au réexamen. Durum Gida était le seul exportateur à avoir reçu des valeurs normalesNote de bas de page 74.

[102] Même si d’autres exportateurs n’ont pas reçu de valeurs normales dans l’enquête initiale et le réexamen subséquent, leur participation semble indiquer qu’il y a un intérêt continu envers le marché canadien.

[103] Dans la PVR, les importations de PASB de la Türkiye représentaient environ 8,4 % en termes de volume et 4,2 % en termes de valeur du marché canadien apparent et environ 20,2 % en termes de volume et 11,6 % en termes de valeur des importations de tous les paysNote de bas de page 75. Elles ont donc continué d’avoir une forte présence au Canada.

[104] Les renseignements sur les droits antidumping perçus dans la PVR sont présentés dans la section Perception des droits. Au total, 50 millions de kg (ou 50 000 tm) de PASB de la Türkiye d’une valeur d’environ 43,7 millions de dollars sont entrés sur le marché canadien dans la PVR. Les importations de la Türkiye ont donné lieu à la perception de 222 078 $ en droits antidumping et compensateurs dans la PVR, la plus grande partie des droits compensateurs. La plupart des marchandises ont été importées pour au moins aussi cher que les valeurs normales établiesNote de bas de page 76.

[105] On peut conclure de la grande quantité de pâtes alimentaires de la Türkiye et du montant relativement petit de droits perçus que la plus grande partie des importations sont de Durum Gida, le seul exportateur ayant des valeurs normales. Ainsi, les droits antidumping en vigueur pour tous les autres exportateurs semblent limiter leur accès au marché canadien.

[106] Lorsqu’on compare le prix moyen par kilogramme des importations, le prix des PASB de la Türkiye (environ 1,14 $/kg) était nettement inférieur à celui des importations des autres pays (2,48 $/kg)Note de bas de page 77.

[107] Si les conclusions du TCCE expirent, d’autres exportateurs turcs pourraient arriver sur le marché pour concurrencer les importations déjà à bas prix de Durum Gida. Pour conserver ou conquérir une part du marché supplémentaire, Durum Gida continuerait ou recommencerait vraisemblablement à pratiquer le dumping au Canada. Ainsi, l’intérêt continu des exportateurs turcs envers le marché canadien risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

Le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye

[108] Faute de participation des producteurs et exportateurs turcs de PASB, l’ASFC s’est fiée aux renseignements publics sur leur capacité de production.

[109] Selon la BBM Magazine, la Türkiye comptait 24 producteurs de pâtes alimentaires en 2019Note de bas de page 78. En 2023, Barilla en a recensé 31, ce qui indique un nombre croissant de ces producteursNote de bas de page 79.

[110] En 2020, la capacité combinée des producteurs turcs de pâtes alimentaires était d’environ 2 millions de tm. En 2022, elle était passée à environ 3 millions de tm. Elle dépasse la consommation turque annuelle, qui est d’environ 800 000 tmNote de bas de page 80. Ces chiffres montrent que la production turque vise principalement à répondre à la demande sur les marchés d’exportation.

[111] Les producteurs turcs de pâtes alimentaires disposent d’une capacité excédentaire suffisante pour approvisionner plusieurs fois le marché canadien, dont la consommation est estimée à 216 000 tmNote de bas de page 81.

[112] Les grands producteurs turcs de pâtes alimentaires, dont Oba Makarna, Durum Gida et Arbella, Nuh’un Ankara, Mutlu, Tat, Doga, Besler, Hak Makarna, Banetti, PastaVilla et Berrak, font valoir sur leur site Web qu’ils sont à vocation exportatrice, énumérant les nombreux pays vers lesquels ils exportentNote de bas de page 82.

[113] Cette situation témoigne de l’orientation vers l’exportation des producteurs turcs de pâtes alimentaires et du renforcement continu de leur position sur le marché mondial. La Türkiye fabrique plus de pâtes alimentaires qu’elle n’en consomme et vend l’excédent à l’étranger, avec des exportations vers près de 160 paysNote de bas de page 83.

[114] L’expiration des conclusions du TCCE serait avantageuse pour les producteurs turcs de pâtes alimentaires, qui pourraient tirer parti de leur excédent pour commencer à exporter vers le Canada à faible prix afin de conquérir une part du marché. Ainsi, le grand nombre de producteurs à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

L’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye

[115] En juin 2023, la livre turque a chuté de 7 % pour atteindre un creux record depuis l’effondrement historique de 2021. En 2023 seulement, elle a connu une baisse de plus de 19 %Note de bas de page 84. Une hausse marquée des taux d’intérêt pourrait faire stagner ou entrer en récession l’économie turqueNote de bas de page 85.

[116] L’effondrement de la livre turque en 2021 a fait passer l’inflation au-dessus de 85 %, un pic record sur 24 ansNote de bas de page 86. L’Institut statistique turc a signalé qu’en octobre 2022, les prix des aliments étaient 99 % plus élevés qu’au cours de l’année antérieure. L’indice des prix à la production de la Türkiye indiquait une hausse annuelle de 158 %Note de bas de page 87.

[117] L’inflation en Türkiye devrait reculer, mais demeurer au-dessus de 40 %, réduisant le pouvoir d’achat des ménages. Les analystes s’attendent à ce que l’inflation remonte à 50 %, ou peut-être même aux niveaux records de 2022Note de bas de page 88.

[118] Vu l’incertitude et l’instabilité des perspectives économiques en Türkiye, combinées à la faiblesse de la monnaie, les producteurs turcs risquent de dépendre fortement des marchés d’exportation et d’inonder le marché canadien de pâtes alimentaires à bas prix. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye risquent fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

La prise de mesures antidumping à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud

[119] Les États-Unis et l’Afrique du Sud ont des mesures antidumping en vigueur à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye.

[120] Aux États-Unis, des droits antidumping sont imposés sur les pâtes alimentaires de la Türkiye depuis 1996Note de bas de page 89. Ces mesures limitent l’accès des producteurs turcs au marché américain des pâtes alimentaires, le premier importateur mondialNote de bas de page 90. Vu la proximité du Canada aux États-Unis, les pâtes alimentaires turques pourraient facilement y être détournées.

[121] Le 28 novembre 2018, le USDOC a décidé que l’annulation des ordonnances causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping et que les importantes marges de dumping susceptibles d’être présentes égaleraient la marge de dumping moyenne pondérée de 63 % dans le cas de la TürkiyeNote de bas de page 91.

[122] Le maintien des mesures antidumping aux États-Unis expose le Canada au risque lié au détournement des grands volumes disponibles de pâtes alimentaires de la Türkiye.

[123] Même si les producteurs turcs ont connu une croissance des exportations vers les pays de l’Afrique subsaharienne qui font l’objet d’une urbanisation rapide, pour représenter 55 % des ventes à l’étrangerNote de bas de page 92, en 2021, la International Trade Administration Commission (ITAC) de l’Afrique du Sud a imposé des droits antidumping de 367 % sur les pâtes alimentaires de la TürkiyeNote de bas de page 93.

[124] L’imposition de droits antidumping en Afrique du Sud obligera les exportateurs turcs à trouver d’autres débouchés pour leur importante production de pâtes alimentaires.

[125] Par conséquent, la prise et le maintien de mesures antidumping à l’égard des pâtes alimentaires turques dans d’autres territoires risquent fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB si les conclusions du TCCE expirent.

L’imposition de barrières tarifaires sur les pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq

[126] En plus des mesures antidumping en vigueur dans d’autres territoires, les pâtes alimentaires turques font l’objet de barrières tarifaires dans l’Union européenne et en Iraq.

[127] L’Union européenne a un contingent annuel de 20 000 tm en vigueur visant les importations de pâtes alimentaires de la Türkiye. Les producteurs turcs ont exhorté l’Union européenne à lever le contingentNote de bas de page 94. Tous volumes hors contingent sont assujettis au taux de droits de la NPF. Ce taux limite grandement l’accès de la Türkiye aux marchés des deuxième et troisième importateurs mondiaux de pâtes alimentaires, l’Allemagne et la France respectivementNote de bas de page 95.

[128] En 2019, l’Iraq, l’un des principaux débouchés pour les produits alimentaires turcs, a interdit les importations de pâtes alimentaires et de nouilles de la TürkiyeNote de bas de page 96. L’interdiction iraquienne a une incidence négative sur les exportateurs de pâtes alimentaires de la Türkiye.

[129] Leur accès à l’Union européenne et à l’Iraq (parmi leurs principaux débouchés de production et d’exportation) étant limité, les producteurs turcs de pâtes alimentaires seront vraisemblablement à la recherche d’autres débouchés comme le Canada. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, l’imposition de barrières tarifaires sur les pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

La suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires

[130] De 2017 à 2021, la production mondiale de pâtes alimentaires a augmenté de 13,0 %, pour passer d’environ 14,6 millions de tm à 16,5 millions de tm. Au cours de la même période, la consommation mondiale a augmenté de 11,5 %, pour passer d’environ 12,2 millions de tm à 13,6 millions de tmNote de bas de page 97. L’offre ayant dépassé la demande, il en résulte une suroffre mondiale.

[131] De plus, plusieurs producteurs de pâtes alimentaires aux États-Unis, dans l’Union européenne et en Afrique ont renforcé leurs capacités ou vont le faireNote de bas de page 98. Comme nous l’avons déjà vu, les producteurs turcs ont aussi renforcé leurs capacités ou ont des plans pour le faire.

[132] L’offre mondiale supplémentaire accroît la concurrence sur le marché des pâtes alimentaires. Cette situation rend les producteurs turcs de pâtes alimentaires plus enclins à réduire leurs prix. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, la suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le dumping des PASB.

Décision concernant la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du dumping

[133] D’après l’information au dossier concernant : la sensibilité au prix des PASB; l’attrait et la stabilité des conditions du marché au Canada; la croissance des produits de marque maison et bon marché au Canada; l’intérêt continu des exportateurs de PASB de la Türkiye envers le marché canadien; le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye; l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye; la prise de mesures antidumping à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis et en Afrique du Sud; l’imposition de barrières tarifaires sur les pâtes alimentaires de la Türkiye dans l’Union européenne et en Iraq; et la suroffre sur le marché mondial des pâtes alimentaires, l’ASFC a décidé que l’expiration des conclusions causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping des PASB de la Türkiye.

Position des parties : subventionnement

Parties selon qui le subventionnement risque fort de se poursuivre ou de reprendre

[134] La CPMA et Barilla ont formulé des observations dans leur réponse au QRE ainsi que leur mémoire à l’appui de leur point de vue que la poursuite ou la reprise du subventionnement des PASB de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions du TCCE expirent. C’est pourquoi la CPMA et Barilla font valoir que les mesures compensatoires devraient être maintenues.

[135] Les principaux facteurs relevés par la CPMA et Barilla peuvent se résumer comme suit :

  • l’offre continue et l’ajout de programmes de subvention pouvant donner lieu à une action en Türkiye;
  • la poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions étaient en vigueur; et
  • la prise de mesures compensatoires à l’égard des importations de pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis.

L’offre continue et l’ajout de programmes de subvention pouvant donner lieu à une action en Türkiye

[136] La CPMA et Barilla indiquent que la Türkiye continue d’offrir des subventions à la production et à l’exportation des pâtes alimentaires, dont plusieurs programmes avérés dans l’enquête initiale et le réexamen subséquentNote de bas de page 99.

[137] Par exemple, le régime de traitement intérieur (RTI), établi en 2005, donne accès aux fabricants turcs à des matières premières en franchise de droits de douane et de taxe sur la valeur ajoutéeNote de bas de page 100. Il semble que ce programme soit toujours offert. La CPMA prétend que le RTI a subi des changements importants. Dans la PVR, presque toutes les importations de blé dur en Türkiye ont été faites au titre du RTI, et ce programme confère vraisemblablement un avantage sous forme d’une exonération ou d’un allègement des droits qui, autrement, auraient été exigiblesNote de bas de page 101.

[138] La CPMA affirme que les crédits d’impôt sur les revenus d’exportation, les intrants que l’État fournit pour moins cher que leur juste valeur marchande, les exemptions de taxe sur le diesel pour les véhicules transportant des marchandises exportées, l’aide pour compenser les frais liés aux enquêtes sur les recours commerciaux, ainsi que plusieurs programmes offerts par la Export Credit Bank A.Ş. of Türkiye (Turk Eximbank), demeurent à la disposition des exportateurs de pâtes alimentaires de la TürkiyeNote de bas de page 102.

[139] De plus, la CPMA et Barilla soutiennent que, dans la PVR, de nouveaux programmes de subvention ont été lancésNote de bas de page 103.

[140] Barilla indique que le projet d’amélioration de la production de cultures (PAPC) a été lancé en 2020. Au titre de ce programme, le gouvernement de la Türkiye subventionne à 75 % les coûts des semences dans 21 provinces agricoles et ouvre des terres publiques à l’utilisation par les agriculteursNote de bas de page 104.

[141] La CPMA mentionne plusieurs nouveaux programmes lancés dans la PVR, dont le programme de crédit pour l’industrie nationale productive avancée, le prêt commercial axé sur l’emploi, le plan d’aide aux activités commerciales génératrices de fonds en devises étrangères, l’aide aux entreprises pour la conversion de devises étrangères en livres turques et le mécanisme de dépôt protégé de devises pour les entreprises ayant des obligations liées au taux de changeNote de bas de page 105.

[142] La CPMA et Barilla soutiennent que l’offre continue et l’ajout de programmes de subvention montrent que le subventionnement des PASB de la Türkiye risque fort de se poursuivre ou de reprendre si les conclusions expirent.

La poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions du TCCE étaient en vigueur

[143] La CPMA soutient que, malgré les mesures en vigueur, il y a eu un volume substantiel d’importations de pâtes alimentaires de la Türkiye au Canada. En outre, le prix par kilogramme des importations de la Türkiye était le plus bas parmi les dix principaux pays sources de pâtes alimentaires du Canada de 2019 à 2023, et ce, par une marge substantielle. Cette situation semble indiquer que le subventionnement s’est poursuivi pendant que les conclusions étaient en vigueurNote de bas de page 106.

[144] La CPMA souligne qu’en raison de la dévaluation de la monnaie et de l’hyperinflation en Türkiye, le taux de droits compensateurs en livres turques a diminué de 59 % en 2023 par rapport à 2021Note de bas de page 107.

[145] En l’absence de preuve du contraire, il est probable que Durum Gida a continué de recevoir des subventions du gouvernement de la Türkiye et continuera de profiter de telles subventions à l’avenir. Cette situation appuie une conclusion selon laquelle la poursuite du subventionnement des pâtes alimentaires de la Türkiye est vraisemblable si les conclusions expirentNote de bas de page 108.

La prise de mesures compensatoires à l’égard des importations de pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis

[146] La CPMA affirme que des droits compensateurs sur les pâtes alimentaires de la Türkiye sont en vigueur aux États-Unis depuis 1996 et ont été renouvelés dans quatre réexamens subséquents. Cette situation donne la preuve que les programmes de subvention sont bien établis et seront vraisemblablement maintenusNote de bas de page 109.

Parties selon qui le subventionnement ne risque pas de se poursuivre ou de reprendre

[147] Aucune des parties ne soutient que la poursuite ou la reprise du subventionnement des PASB de la Türkiye n’est pas vraisemblable si les conclusions expirent.

Considération et analyse : subventionnement

[148] Quand elle décide au titre de l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI si, selon toute vraisemblance, l’expiration de conclusions causera la poursuite ou la reprise d’un subventionnement, l’ASFC peut prendre en compte tous les facteurs pertinents dans les circonstances, sans se limiter à ceux du paragraphe 37.2(1) du RMSI.

[149] Guidée par les facteurs susmentionnés, et tenant compte de l’information au dossier administratif, l’ASFC a analysé la question du subventionnement dans l’enquête de réexamen relatif à l’expiration qui nous intéresse. La liste suivante résume son travail d’analyse :

  • la poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions étaient en vigueur;
  • le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye;
  • l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye; et
  • la prise de mesures compensatoires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis.

L’analyse de l’ASFC

La poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions étaient en vigueur

[150] Faute de participation des producteurs et exportateurs et du gouvernement de la Türkiye dans le présent réexamen relatif à l’expiration, l’ASFC s’est fiée à l’information de l’enquête initiale et du réexamen subséquent ainsi qu’aux renseignements pertinents au dossier pour évaluer la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du subventionnement des PASB si les conclusions du TCCE expirent.

[151] Dans l’enquête de 2017 sur le subventionnement des PASB, huit programmes de subvention ont été jugés être à la disposition de tous les autres exportateurs :

  • Exemption de la taxe sur la valeur ajoutée et de la taxe spéciale à la consommation sur la livraison de diesel pour les véhicules transportant des exportations;
  • Réescompte;
  • Crédit à l’exportation avant l’expédition;
  • Programme de crédit avant l’exportation;
  • Crédit de fonds de roulement axé sur l’exportation;
  • Crédit de réescompte après l’expédition;
  • Programme de crédit pour certaines exportations; et
  • Programme d’assurance-crédit à l’exportation à court terme.

[152] L’ASFC a jugé que Durum Gida avait reçu des avantages de trois programmes dans la PVE :

  • Subventions à l’exportation de produits agricoles;
  • Crédits d’impôt sur les revenus d’exportation; et
  • Intrants que l’État fournit pour moins cher que leur juste valeur marchandeNote de bas de page 110.

[153] L’Énoncé des motifs des décisions définitives de l’ASFC décrit les programmes en détail et explique pourquoi ils ont été considérés comme des subventions donnant lieu à une action.

[154] Dans le réexamen de 2019 sur les PASB, l’ASFC a jugé que Durum Gida avait reçu des avantages de quatre programmes dans la PVE :

  • Subventions à l’exportation de produits agricoles;
  • Crédits d’impôt sur les revenus d’exportation;
  • Intrants que l’État fournit pour moins cher que leur juste valeur marchande; et
  • Aide pour compenser les frais liés aux enquêtes sur les recours commerciauxNote de bas de page 111.

[155] En décembre 2021, le gouvernement de la Türkiye a signalé à l’OMC 31 programmes de subvention, la plupart d’entre eux pouvant s’appliquer aux producteurs et exportateurs de PASB de la Türkiye.

[156] Par exemple, l’Organisation pour le développement des petites et moyennes entreprises du ministère de l’Industrie et du Commerce de la Türkiye (KOSGEB) offre diverses subventions aux petites et moyennes entreprises, notamment aides et prêts sans intérêts ou à taux préférentiels. La Turk Eximbank, une banque d’État agissant à titre d’agence de crédit et d’instrument d’encouragement à l’exportation, offre aussi diverses subventions aux exportateurs, notamment programmes de crédit à l’exportation (prêts et garanties de prêts) et programmes d’assurance-crédit à l’exportation. Enfin, le gouvernement de la Türkiye offre un programme de subvention à l’exportation des produits agricoles sous forme de réduction de dettesNote de bas de page 112.

[157] Le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) indique que le gouvernement de la Türkiye a également des subventions nationales pour le blé et n’a pas signalé à l’OMC ses dépenses à cet égard, cette aide étant limitée à 10 % de la valeur de la production dans les pays en développement. Or, le blé figurait parmi les principaux bénéficiaires de l’aide par les années passées. Le USDA indique aussi que le gouvernement de la Türkiye a des subventions à l’exportation, notamment le RTI. En plus du RTI, le gouvernement offre des subventions au transport de la farine de blé, y compris le blé durNote de bas de page 113. Ces subventions au blé sont vraisemblablement transférées aux producteurs et exportateurs de PASB sous forme de subventions en amont.

[158] En 2020, le ministère de l’Agriculture a lancé un programme d’aide spécial pour compenser l’incidence de la pandémie de COVID-19 sur la sécurité alimentaire. Par le truchement du PAPC, le gouvernement de la Türkiye subventionne à 75 % les coûts des semences pour les agriculteurs dans 21 provinces agricoles, encourageant ceux-ci à planter des cultures supplémentaires. Le gouvernement a également ouvert des terres publiques à l’utilisation par les agriculteurs pour y planter des cultures. Parmi les semences distribuées, le blé était considéré comme prioritaireNote de bas de page 114. Les coûts réduits des semences et des terres, combinés à la production nationale accrue de blé, pourraient faire baisser les prix du blé dur, offrant ainsi une subvention en amont aux producteurs de PASB.

[159] Des subventions sont offertes depuis longtemps aux producteurs et exportateurs de blé, de farine et de pâtes alimentaires en Türkiye. Ainsi, puisque le subventionnement s’est poursuivi pendant que les conclusions étaient en vigueur, les exportateurs de la Türkiye bénéficieront vraisemblablement de la poursuite ou de la reprise du subventionnement si les conclusions expirent.

Le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye

[160] Comme nous l’avons déjà vu dans la section Considération et analyse : Dumping, l’information au dossier fait état d’un grand nombre de producteurs et exportateurs de PASB qui ont une capacité énorme en Türkiye.

[161] En outre, l’information au dossier montre que Durum Gida a maintenu des liens avec des importateurs canadiens, ce qui témoigne d’un intérêt continu envers le marché canadien.

[162] Puisque les producteurs et exportateurs de PASB en Türkiye ont une capacité excédentaire et sont à vocation exportatrice, ils sont incités à réaliser des ventes à l’exportation au Canada pour augmenter le taux d’utilisation. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, le grand nombre de producteurs à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le subventionnement des PASB.

L’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye

[163] Comme nous l’avons déjà vu, l’effondrement de la livre turque et l’hyperinflation sont source de grande incertitude dans les perspectives économiques de la Türkiye.

[164] En 2021, le gouvernement de la Türkiye a lancé un programme pour mettre un terme à la chute de la monnaie. Le programme est assorti d’une garantie de combler toutes pertes subies par les détenteurs de dépôts en livres turques en cas de dépréciation de la monnaieNote de bas de page 115.

[165] En 2023, le gouvernement de la Türkiye a dévoilé un programme pour encourager le swap de devises gagnées à l’étranger en livres turques. Au titre de ce programme, le gouvernement apporterait une aide à la conversion de 2 % si les entreprises s’engagent à ne pas acheter de devises étrangères sur une période donnée. Ce programme est le dernier d’une longue série d’outils déployés par le gouvernement pour soutenir la livre turqueNote de bas de page 116.

[166] Les exportateurs étaient déjà tenus de convertir 40 % de leurs revenus générés en devises étrangères en livres turques selon des règles annoncées en 2022.

[167] Vu l’incertitude et l’instabilité des perspectives économiques en Türkiye, combinées à la faiblesse de la monnaie, les producteurs turcs risquent de dépendre fortement des marchés d’exportation et d’inonder le marché canadien de pâtes alimentaires. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye risquent fort de faire reprendre ou se poursuivre le subventionnement des PASB.

La prise de mesures compensatoires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis

[168] Aux États-Unis, des droits compensateurs sont imposés sur les pâtes alimentaires de la Türkiye depuis 1996Note de bas de page 117. Ces mesures limitent l’accès des producteurs turcs au marché américain des pâtes alimentaires, le premier importateur mondialNote de bas de page 118. Vu la proximité du Canada aux États-Unis, les pâtes alimentaires turques pourraient facilement y être détournées.

[169] Le 28 novembre 2018, le USDOC a décidé que l’annulation des ordonnances causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du subventionnementNote de bas de page 119.

[170] Le maintien des mesures compensatoires aux États-Unis expose le Canada au risque lié au détournement des grands volumes disponibles de pâtes alimentaires subventionnées de la Türkiye. Ainsi, si les conclusions du TCCE expirent, la prise de mesures compensatoires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis risque fort de faire reprendre ou se poursuivre le subventionnement des PASB.

Décision concernant la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du subventionnement

[171] D’après l’information au dossier concernant : la poursuite du subventionnement des PASB de la Türkiye pendant que les conclusions étaient en vigueur; le grand nombre de producteurs de pâtes alimentaires à vocation exportatrice qui ont une capacité excédentaire en Türkiye; l’incertitude et l’instabilité des conditions du marché en Türkiye; et la prise de mesures compensatoires à l’égard des pâtes alimentaires de la Türkiye aux États-Unis, l’ASFC a décidé que l’expiration des conclusions causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du subventionnement des PASB de la Türkiye.

Conclusion

[172] Aux fins de la décision dans l’enquête de réexamen relatif à l’expiration qui nous intéresse, l’ASFC a procédé à une analyse en s’en tenant aux facteurs énoncés au paragraphe 37.2(1) du RMSI et aux autres facteurs pertinents dans les circonstances. Ayant considéré les facteurs pertinents et les renseignements au dossier administratif, elle a décidé le 12 octobre 2023, conformément à l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI, que l’expiration des conclusions rendues par le TCCE le 26 juillet 2018 dans l’enquête NQ-2017-005 à l’égard des PASB originaires ou exportées de la Türkiye causerait vraisemblablement :

  1. la poursuite ou la reprise du dumping des marchandises de la Türkiye; et
  2. la poursuite ou la reprise du subventionnement des marchandises de la Türkiye.

Mesures à venir

[173] Le TCCE a maintenant commencé son enquête pour établir si, selon toute vraisemblance, la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement causerait un dommage. D’après le calendrier de l’enquête, le TCCE doit rendre sa propre décision d’ici le 20 mars 2024.

[174] Si le TCCE décide que l’expiration de ses conclusions causerait vraisemblablement un dommage à la branche de production nationale, il les prorogera, avec ou sans modification. Alors, l’ASFC continuera de percevoir des droits antidumping sur les importations sous-évaluées, et des droits compensateurs sur les importations subventionnées, de marchandises en cause.

[175] Si, au contraire, le TCCE décide que l’expiration de ses conclusions ne causerait vraisemblablement pas de dommage à la branche de production nationale, il les annulera, et plus aucuns droits antidumping ou compensateurs ne seront perçus sur les importations de marchandises en cause, et ceux perçus sur des marchandises dédouanées après que les conclusions devaient expirer seront rendus à l’importateur.

Communiquer avec nous

[176] Voici à qui s’adresser pour en savoir plus :

  • Téléphone :
  • Jeffrey Laplante : 343-553-1864

Courriel : simaregistry-depotlmsi@cbsa-asfc.gc.ca

La directrice générale par intérim,
Direction des programmes commerciaux et antidumping,
Edith Laflamme

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