Croix-Rouge canadienne
Programme de suivi des conditions de détention des immigrants (PSCD) Rapport annuel des activités
Période de suivi : septembre 2017 à mars 2018
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Table des matières
Liste des acronymes
- ASFC
- Agence des services frontaliers du Canada
- CISR
- Commission de l’immigration et du statut de réfugié
- CRC
- Société canadienne de la Croix-Rouge
- CSI
- Centre de Surveillance de l’Immigration
- HCR
- Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés
- LIPR
- Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
- ONG
- Organisation non gouvernementale
- PSCD
- Programme de suivi des conditions de détention
- RIPR
- Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés
Sommaire
Ce rapport présente les observations et les recommandations émises par la Croix-Rouge canadienne (CRC) pendant la période d’activité 2017-2018 de son Programme de suivi des conditions de détention des immigrants (PSCD), lequel découle d’une entente conclue avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).
En vertu de cette entente, les activités de suivi de la CRC se sont principalement intéressées à quatre éléments :
- Les conditions physiques de détention;
- Le traitement réservé aux détenus;
- Les protections et garanties légales;
- La possibilité pour les détenus de rester en contact avec leur famille.
Entre décembre 2017 et la fin mars 2018, à savoir la période visée par le rapport, quinze (15) visites ont été effectuées dans le cadre du PSCD auprès de centres détenant des personnes pour des motifs d’immigration. À partir des faits constatés lors de cette période, la CRC a regroupé ses préoccupations selon cinq catégories :
- Regroupement des catégories de détenus dans un même établissement correctionnel;
- Information limitée sur les droits et les responsabilités des détenus;
- Difficulté à accéder à certains services médicaux;
- Accès limité aux aires extérieures dans certains établissements;
- Difficulté à communiquer avec la famille.
Voici les principales recommandations que la CRC propose à la lumière de ses observations.
- Dans les cas où une détention s’avère nécessaire, de préférence, placer les détenus dans des établissements autres qu’une prison ou un centre correctionnel ou, du moins, séparer les détenus de l’immigration du reste de la population carcérale.
- Veiller à ce que les détenus de l’immigration comprennent pleinement leurs droits et leurs responsabilités, peu importe leur lieu de détention.
- Veiller à ce que les détenus de l’immigration aient accès à des services adéquats en matière de santé mentale, peu importe leur lieu de détention.
- Veiller à ce que les détenus de l’immigration aient accès quotidiennement aux aires extérieures et à des activités récréatives.
- Permettre des communications régulières et adéquates entre les détenus et les membres de leur famille.
Introduction
Une équipe de la CRC effectue des visites de suivi et d’évaluation des conditions de détention dans des établissements fédéraux, provinciaux, territoriaux ou municipaux où des personnes sont maintenues en détention administrative en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Conformément à l’entente conclue entre la CRC et l’ASFC, le présent rapport brosse un portrait des activités du PSCD réalisées par la CRC de septembre 2017 à mars 2018.
Au total, la CRC a effectué quinze (15) visites sur le terrain et s’est présentée sur place à deux (2) reprises en réponse aux avis qui lui ont été transmis. Les établissements de l’Ontario ont reçu le plus grand nombre de visites, suivis de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Québec. Aucune visite n’a eu lieu au Manitoba lors de la période à l’étude.
Pendant chacune des visites, l’équipe s’est entretenue avec des détenus de l’immigration en privé, sans la présence d’un membre du personnel de l’établissement. Au total, cent quarante-deux (142) détenus ont accepté de discuter avec les membres de l’équipe de la CRC. En revanche, cent seize (116) immigrants n’ont pas été rencontrés, soit en raison de leur refus de s’adresser à la CRC, soit parce qu’ils étaient absents au moment de la visite.
Dès le début du programme, avant même d’avoir reçu les autorisations de sécurité nécessaires, la CRC a organisé des séances d’information à l’intention du personnel d’établissements ayant des contacts directs avec les détenus de l’immigration. En tout, quinze (15) séances ont eu lieu, dont un plus grand nombre en Ontario, puis, en ordre décroissant, dans la région du Pacifique (Colombie-Britannique et Alberta), au Québec et dans les Prairies.
En plus des visites sur le terrain et des séances d’information, l’équipe a tenu trente-quatre (34) réunions avec des intervenants externes, dont des représentants de l’ASFC dans ces régions et des services correctionnels provinciaux. La CRC a aussi mené des rencontres de suivi auprès de Centres de Surveillance de l’Immigration (CSI) et de centres correctionnels, sans oublier les organismes d’aide juridique et les organisations non gouvernementales (ONG) locales ayant pour mission d’appuyer les détenus.
Constatations
En somme, le PSCD de la CRC a effectué quinze (15) visites en centres de détention à l’échelle nationale au cours de la période visée par le présent rapport. L’équipe de suivi tient à remercier les représentants de l’ASFC et tous les membres du personnel des établissements visités de lui avoir donné accès aux lieux et permis de rencontrer les détenus.
À la lumière des constatations faites au cours de la période de suivi, la CRC formule les conclusions et les recommandations suivantes :
- 1. Lorsqu’elles sont logées dans des centres correctionnels et des centres de détention provisoire, les personnes détenues pour des motifs d’immigration reçoivent le même traitement et suivent les mêmes règles que les personnes condamnées ou en détention provisoire, même si leur détention est d’ordre administratif. Les politiques mises en place pour encadrer le comportement des personnes dans le système de justice pénale sont appliquées aux détenus de l’immigration, comme le placement en isolement préventif et disciplinaire et le recours à des moyens de contention et à des mesures de confinement.
- Bien que la CRC reconnaisse qu’il est difficile de maintenir les détenus de l’immigration dans les établissements distincts, elle s’inquiète du fait qu’ils puissent côtoyer des prévenus en attente de procès, des personnes condamnées (au provincial ou au fédéral) en attente de jugement, des personnes condamnées en attente de transfert, des contrevenants à une libération conditionnelle et des contrevenants à une amende. Ce type de situation a été observé dans la plupart des établissements visités lors de la période de suivi, sauf dans les CSI de Laval, de Toronto et de Vancouver.
- Selon le droit international, le fait de soumettre les détenus de l’immigration au même traitement que les personnes détenues en vertu du Code criminel est considéré comme une pratique disproportionnée. Lorsque la détention est nécessaire, le droit international stipule qu’elle doit être proportionnelle, révisée régulièrement et que sa durée doit être définie.Note de bas de page 1 Dès lors, la CRC recommande que l’ASFC s’inspire de l’initiative entreprise par le Centre correctionnel régional Fraser, qui dispose d’une unité de détention réservée aux personnes détenues en vertu de la LIPR, afin que ces dernières soient séparées des personnes condamnées et en détention provisoire en tout temps dans les centres correctionnels provinciaux. La procédure observée au Québec est elle aussi envisageable dans la mesure où elle limite la possibilité que les différentes catégories de détenus se côtoient.
- 2. Les détenus de l’immigration qui ont été interviewés présentaient des niveaux variables de connaissances au sujet des droits et des responsabilités qui leur sont reconnus lorsqu’ils se trouvent dans un centre de surveillance de l’immigration ou dans un centre correctionnel. i Ce manque d’information se traduisait par un accès limité à certains services, programmes et mesures de soutien, dont l’aide juridique et les activités récréatives.
- Certains détenus, par exemple en Alberta, ont informé la CRC qu’ils n’étaient pas représentés par un conseiller juridique en tout temps lors des examens des motifs de détention et des audiences en matière d’immigration, notamment en raison des difficultés à communiquer avec le centre d’aide juridique par téléphone depuis les établissements provinciaux et de l’inadmissibilité de certains cas à recevoir de l’aide juridique. Par conséquent, certains détenus n’ont pas cherché à faire appel à un conseiller juridique et, par le fait même, avaient une compréhension insuffisante de leur statut juridique et de leurs droits.
- EnOntario comme en Colombie-Britannique, la CRC s’est entretenue avec des détenus qui ignoraient l’existence de programmes et de services qui s’offraient à eux au sein de l’établissement provincial dans lequel ils se trouvaient. De plus, des détenus des quatre régions étudiées dans le cadre du rapport ont déclaré ne pas avoir reçu de documents d’orientation de l’ASFC ou, s’ils en avaient reçu, les renseignements étaient uniquement fournis en anglais. Pourtant, les trousses de formulaires précisant les motifs de détention sont bel et bien proposées en 16 langues.
- La CRC recommande donc que l’ASFC fournisse des documents d’information sur les droits des détenus en plusieurs langues à tous les centres où des personnes pourraient être détenues pour des motifs d’immigration. Le guide « Renseignements à l’intention des personnes détenues en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » et la brochure « Orientation to Immigration Detention in the Pacific Region », tous deux produits par l’ASFC, pourraient aisément servir d’exemple.
- La CRC recommande également de fournir des renseignements verbaux et écrits supplémentaires aux détenus de l’immigration au moment de leur admission, dans une langue et un format qu’ils comprennent, afin de leur expliquer la façon d’accéder aux soins médicaux et à la représentation juridique, l’utilisation des téléphones, les visites familiales, les programmes et les services disponibles ainsi que les règles de l’établissement et les processus disciplinaires.
- Par le passé, l’ASFC avait facilité l’accès de certains détenus à l’aide juridique. La CRC recommande que l’Agence cimente cette mesure en une procédure formelle visant à mettre les détenus en contact avec des services d’aide juridique pertinents pour que ces derniers puissent obtenir un soutien adéquat relativement à leur dossier d’immigration et à leurs examens des motifs de détention.
- 3. Les détenus de l’immigration logés dans les centres correctionnels provinciaux ont souvent signalé à la CRC avoir de la difficulté à accéder aux services médicaux et aux services de santé mentale. Selon les autorités responsables des centres visités par la CRC en Ontario, les retards perçus dans l’obtention des soins sont attribuables au volume élevé de la population carcérale criminelle nécessitant une aide médicale. En Alberta, les membres du personnel correctionnel et médical des établissements visités ont pour la plupart signifié ne pas avoir reçu de formation particulière sur les besoins des immigrants ou des demandeurs d’asile détenus, car les détenus de l’immigration représentent une infime fraction de l’ensemble de la population. De plus, au Québec, certaines personnes détenues pour des motifs d’immigration souffraient de problèmes de santé mentale, liés non seulement à leur détention, mais aussi au parcours douloureux qui les a menés au Canada. Il a été soulevé que le soutien en matière de santé mentale était insuffisant, les services d’un psychologue ou d’un psychiatre n’étant disponibles qu’une seule journée par semaine.
- Au chapitre des soins de santé dans un contexte de détention, le droit international établit la responsabilité de l’État à fournir des soins de santé aux détenus sans discrimination, quel que soit leur statut juridique. Les dispositions internationalesNote de bas de page 2 stipulent également que les soins de santé prodigués en détention doivent être de la même qualité que ceux disponibles dans le reste de la société. En outre, la CRC souligne que les détenus de l’immigration peuvent se prévaloir du régime de soins de santé prévu par le Programme fédéral de santé intérimaire, y compris des services en santé mentaleNote de bas de page 3. À la lumière de ce qui précède, la CRC recommande que les autorités canadiennes veillent à ce que les détenus de l’immigration aient accès à des services médicaux sur place, y compris un soutien en santé mentale, peu importe leur lieu de détention.
- 4. La CRC a constaté un accès restreint aux aires extérieures ainsi qu’aux activités récréatives, culturelles et éducatives. Par exemple, l’emplacement des installations de détention de l’immigration du CSI de Vancouver n’offre aucun accès à l’extérieur et ne laisse pas entrer de lumière naturelle. L’absence de personnel médical et de travailleurs sociaux réduit d’autant plus la capacité de ces établissements à diminuer les répercussions néfastes de ces lacunes et du stress important engendré par la détention. En Ontario, certains détenus de l’immigration rencontrés dans des centres correctionnels avaient peu d’accès aux programmes récréatifs et éducatifs, car ils ne savaient pas comment accéder à ces activités ou, dans certains cas, ces programmes ne s’appliquaient pas aux personnes détenues en vertu de la LIPR.
- En vertu du droit internationalNote de bas de page 4 et étant donné que leur détention n’est pas de l’ordre criminel, les détenus de l’immigration ne devraient pas être contraints de demeurer dans une cellule toute la journée et devraient être en mesure de se reposer et de s’adonner à des loisirs et à des programmes éducatifs. Ce type d’activité est d'ailleurs fortement conseillé en contexte de détention, car il favorise le développement personnel, la santé physique et mentale ainsi que l’inclusion sociale et culturelle. Qui plus est, ces activités contribuent à réduire les effets négatifs de l’incarcération en atténuant le stress et en favorisant des interactions positives avec les autres. La CRC recommande à l’ASFC de veiller à ce que les détenus de l’immigration aient accès à des programmes récréatifs et éducatifs, peu importe leur lieu de détention.
- 5. Les activités de suivi de la CRC ont révélé des lacunes dans la mesure où les détenus éprouvaient de la difficulté à maintenir des contacts avec le monde extérieur depuis le centre de détention. Cette situation est exacerbée dans les centres où il n’y a pas de visites-contact avec la famille et les amis. Le problème réside principalement dans les systèmes téléphoniques existants qui ne permettent pas aux détenus de faire des appels interurbains ou internationaux ou d’appeler des appareils mobiles. Ce problème est répandu, si bien qu’il a été noté dans toutes les régions où les visites de suivi ont eu lieu lors de la période visée par le rapport.
- Les contacts avec le monde extérieur et les visites, surtout lorsqu’il est question des membres de la famille, jouent un rôle capital quant à la capacité des détenus à composer avec le manque de liberté et constituent un droit garanti à toute personne détenue en vertu des lois nationales et internationalesNote de bas de page 5. Ce droit de communication est étendu aux amis et aux membres de la famille et peut prendre la forme de communications verbales et écrites ainsi que de visites en personne. En ce qui concerne les personnes détenues pour des motifs d’immigration, le fait d’être détenues dans un pays étranger amplifie la distance entre elles et leur famille vivant à l’étranger et leur besoin d’un contact régulier et adéquat avec le monde extérieur.
- Compte tenu des défis que pose depuis longtemps le système téléphonique dans les centres correctionnels provinciaux, la CRC recommande à l’ASFC de veiller à ce que tous les détenus de l’immigration, sans égard au lieu de détention, aient régulièrement la possibilité de communiquer adéquatement avec leur famille et leurs amis, y compris au moyen d’appels interurbains ou internationaux et d’appels vers des appareils mobiles. La CRC recommande en outre l’élaboration d’un protocole normalisé pour faire en sorte que tous les détenus aient régulièrement la possibilité de rester en contact avec leur famille et leurs amis, surtout les détenus dont les parents vivent à l’étranger. Il est recommandé d’organiser des visites-contact pour les détenus de l’immigration et leurs familles, en particulier les détenus qui ont des enfants, les détenus de longue durée et avant leur renvoi.
- 6. En règle générale, le personnel médical et correctionnel des centres visités ne reçoit pas suffisamment de formation sur la nature de la détention liée à l’immigration et sur les besoins des demandeurs d’asile et des réfugiés détenus, car les détenus de l’immigration représentent une infime fraction de l’ensemble de la population.
- La CRC recommande que le personnel travaillant directement avec les détenus de l’immigration reçoive une formation appropriée et comporte des personnes qui possèdent de l’expérience professionnelle auprès des immigrants et des demandeurs d’asile tels que des avocats spécialisés en immigration, des travailleurs de la santé et des travailleurs sociaux. La CRC est d’avis que les équipes multidisciplinaires sont mieux placées pour reconnaître les symptômes de détresse chez les détenus de l’immigration et sont plus en mesure de fournir un soutien opportun et approprié pour répondre à ces besoins et assurer le bien-être des détenus. De plus, la CRC recommande de sensibiliser le personnel de l’ASFC et des centres correctionnels à la nature de la détention liée à l’immigration et en quoi elle diffère de la détention criminelle.
Conclusion
Depuis 1999, la CRC participe à l’évaluation des conditions dans lesquelles l’ASFC détient des personnes pour des motifs d’immigration. À titre d’organisme humanitaire, la CRC est un tiers neutre et indépendant. Conformément à ses principes fondamentaux, notamment l’impartialité, la neutralité et l’indépendance, elle fournit donc des évaluations et des recommandations impartiales aux autorités canadiennes dans le but de protéger et d’améliorer les conditions de détention des personnes détenues pour des motifs d’immigration
Le programme est dirigé par l’équipe du PSCD et ses activités respectent les modalités de l’entente conclue entre la CRC et l’ASFC pour la période s’étalant entre le 28 juin 2017 et le 15 juillet 2019 inclusivement. Le présent rapport dresse un portait des activités réalisées par la CRC et livre les observations et les recommandations formulées par celle-ci dans le cadre du PSCD entre septembre 2017 et mars 2018.
Les constatations et les recommandations émises dans ce rapport ont pour objectif d’améliorer les conditions de détention des immigrants, et ce, dans plusieurs domaines, notamment :
- le lieu et la période de détention;
- l’accès à l’information relative aux garanties juridiques;
- l’accès aux services médicaux et aux activités récréatives;
- la formation du personnel;
- le contact avec le monde extérieur.
La CRC est disposée à discuter des constatations de ce rapport avec l’ASFC et à donner, dans la mesure du possible, des conseils sur la façon d’améliorer les conditions de détention des immigrants au Canada. En outre, l’organisation est prête à recevoir les commentaires officiels de l’ASFC sur les recommandations formulées dans le présent document.
- Date de modification :